Suivi des éruptions volcaniques en Islande grâce au service CIEST2

En quatre ans, douze éruptions ont eu lieu sur la péninsule de Reykjanes dans la zone sud-ouest de l’Islande à quelques dizaines de kilomètres de la capitale Reykjavík. Cette activité intense est un véritable défi pour la société islandaise, les scientifiques impliqués dans la surveillance de l’activité volcanique et la protection civile en charge de la sécurité de la population. 


La CIEST2 a été activée six fois au cours de cette période, ce qui a permis, grâce à l’étroite collaboration des scientifiques français et Islandais, un support au suivi opérationnel des éruptions en cours et un apport significatif à la compréhension des processus magmatiques en œuvre. Ces activations ont également été une opportunité de proposer de nouvelles méthodes de traitement des données Pléiades en élargissant ainsi leur domaine d’application.

Figure 1 : Bilan des coulées émises lors des 12 éruptions (mars 2021 août 2025, contours de coulées communiqués par Ragnar H. Þrastarson). La zone affectée par les coulées se distingue clairement par sa couleur plus sombre sur l’image Pléiades acquise le 27 mars 2024 (@CNES2024, Distribution AIRBUS DS, France). Les 3 premières éruptions dans la zone du Mont Fagradalsfjall (flèches grises) ont affecté une zone non habitée avant que la migration de l’activité dans la zone de Svartsengi (flèches rouges) ne menace directement la ville de Grindavik et la centrale électrique alimentant toute la péninsule Islandaise. Les 6 activations de la CIEST2 sont représentées par les disques rouges, celle de Novembre 2023 n’a pas correspondu à une éruption mais a apporté des informations cruciales sur la déformation de surface induite par la propagation du magma à faible profondeur sous la surface.

Les 3 éruptions du Mont Fagradalsfjall :

La péninsule de Reykjanes dans le sud-ouest de l’Islande est une zone oblique de rift, c’est à dire d’extension, qui fait partie de la limite entre les plaques Nord-Américaine et Européenne. En mars 2021, une éruption basaltique effusive à proximité du Mont Fagradalsfjall, dans une zone non habitée, a mis fin à une période de près de 800 ans d’absence d’activité volcanique dans cette zone de l’Islande.

Cette éruption qui a duré six mois et mis en place 150 millions de m3 de magma en surface, avait été bien anticipée du fait des signaux précurseurs enregistrés dans les semaines précédentes (augmentation significative de la sismicité et déformation du sol mesurée par interférométrie radar satellitaire).

Le début de l’éruption a été suivi grâce à des acquisitions Pléiades journalières programmées pendant dix jours suite à l’activation de la CIEST2. Les données Pléiades ont été utilisées, pour la première fois, en temps réel.

L’information obtenue sur le contour de la coulée, son épaisseur, le volume de magma émis et le taux moyen  d’émission a en effet été transmise à la protection civile quatre heures après l’acquisition d’une image exploitable c’est à dire ne comprenant pas de nuage sur la zone d’éruption.

Ceci a permis de mettre en évidence l’intérêt de ces données de télédétection pour la réponse opérationnelle à une crise volcanique (Gouhier et al. 2022).

La mesure des flux de magma a aussi permis de montrer une augmentation de ces flux au cours de l’éruption, ce qui est inhabituel en Islande et témoigne une alimentation soutenue en profondeur (Pedersen et al. 2022). 

Deux autres éruptions ont eu lieu dans la même zone géographique respectivement en 2022 (éruption du Fagradalsfjall du 3 mars au 21 août 2022) et à l’été 2023 (éruption du Fagradalsfjall du 10 juillet au 7 août 2023), ces éruptions ont également bénéficié de l’activation de la CIEST2.

La migration de l’activité vers Grindavik et Sundhnúksgígar en novembre 2023:

Le 10 novembre 2023, le port de Grindavik (ville de plus de 3000 habitants) sur la péninsule de Reykjanes a été évacué. Cette décision a été prise suite à la mise en évidence de la propagation d’une fissure magmatique à faible profondeur à proximité de la ville.

En raison de l’imminence probable d’une éruption dans une zone habitée, la CIEST2 a été activée et des images Pléiades en mode stéréo ont été acquises dès le 14 novembre pendant 11 jours consécutifs dans des conditions de faible illumination solaire.

Il n’y a pas eu d’éruption au cours de l’activation car la progression du magma vers la surface s’est arrêtée.

Néanmoins certaines images ont permis de quantifier la subsidence de surface induite par la progression du magma en profondeur ce qui est une information très utile aux autorités pour caractériser les dégradations dans la ville de Grindavik (Figure 2).

Elles ont permis de cartographier précisément les failles impliquées dans les forts mouvements verticaux observés (Parks et al. 2025).

Figure 2 : Carte des différences d’altitude (en couleurs) entre deux Modèles Numériques de Terrain (MNT), obtenus grâce aux images acquises le 19 novembre 2023 (Pléiades) et le 13 février 2024 (photogrammétrie aéroportée). Cette carte a été utilisée pour identifier les principales failles limites (lignes noires) utilisées dans la modélisation géodésique du tracé des dikes (intrusions magmatiques verticales) entre décembre 2023 et août 2024 (issue de Parks et al. 2025).

Une éruption s’est finalement déclenchée sur Sundhnúksgígar, 5 km nord de Grindavík, le 18 décembre après une réalimentation en magma mais aucune acquisition Pléiades n’a pu être envisagée en raison des conditions d’illumination solaire à quelques jours du solstice d’hiver.

La CIEST2 a à nouveau été activée en mars et en août 2024. Elle apporte, grâces aux données Pléiades acquises, des informations sur l’évolution des coulées de lave qui sont complémentaires aux mesures par drones dont la couverture spatiale est limitée et aux mesures aéroportées qui sont rarement disponibles pendant la période estivale.

Néanmoins lors d’éruptions qui peuvent durer plusieurs semaines et qui se répètent régulièrement le dispositif d’acquisition des images Pléiades via la CIEST2 initialement mis en place dans le cas de crise courte et exceptionnelle doit être complété par des demandes d’acquisitions plus classiques mais nettement moins réactives via DINAMIS en s’appuyant sur le label de « Supersite » délivré par le Committee on Earth Observation Satellites CEOS à l’Islande.

L’analyse jointe de toutes ses informations en complément des mesures de déformation (InSAR et GNSS) et de sismicité améliore notre capacité à anticiper les mises en place d’intrusions magmatiques et les éruptions (Parks et al. 2025).

Les phases d’activité éruptives sur Sundhnúkarsgigar et Grindavík continuent jusqu’à la date de cet article (août 2025) avec un total, sur cette zone, de 9 éruptions (exemple de l’éruption de novembre 2024 sur la figure 3). Ces éruptions sont séparées par des périodes de repos de 1 à 4 mois qui restent néanmoins marquées par une forte sismicité et des déformations de surface. Environs 250 millions de m3 de lava ont été émis, soit l’équivalent en volume d’une centaine de piscines olympiques.

Figure 3 : Image prise par drone de l’éruption de novembre 2024 (débutée lors de la réunion MDIS), image distribuée par l’Icelandic Civil Defense

Les développements méthodologiques :

L’éruption islandaise a aussi produit un « nuage volcanique » : un panache de gaz et cendres qui s’échappe de la fissure éruptive.

L’acquisition Pléiades du 23 mars 2021, a bien imagé ce panache. C’est ainsi que les chercheurs du BRGM, impliqués dans l’initiative CIEST², ont pu utiliser Pléiades pour extraire une carte des hauteurs et une carte des vitesses de ce nuage volcanique.

Ces informations sont primordiales pour mesurer et prédire la dispersion des cendres et des gaz volcaniques dans l’atmosphère.

Les images Pléiades acquises en 2021 ont donc été utilisés par le BRGM pour mesurer l’altitude (entre 300 et 800 m) et la vitesse (14 m/s) du panache volcanique en s’appuyant sur le délai de 0.16 secondes entre l’acquisition de la bande  panchromatique et de la bande rouge de Pléiades (Gouhier et al. 2022), la méthode étant basée sur le faible écart temporel entre les acquisitions PAN et XS lors d’un seul passage de Pléiades (figure 4). La méthode détaillée, appliqué à Landsat 8, est décrite dans de Michele et al. (2016, RSE).

Figure 4. Hauteurs et vitesses du « nuage volcanique » à partir des données Pléiades quasi synchrones. Données Pléiades du 23 mars 2021.

Les données Pléiades acquise le 19 décembre 2023 ont été utilisées par le BRGM afin de tester une nouvelle stratégie de calcul de bathymétrie en région côtière (de Michele et al. 2024 ; figure 5).

Ceci permettra d’avoir une bonne estimation de volume de magma émis en mer dans le cas d’une mise en place de coulée en mer dans le futur (de Michele et al. 2024).

Dans cette étude, la méthode appelée BathySent (de Michele et al., 2021) a été adaptée pour récupérer la bathymétrie peu profonde depuis l’espace, basée sur la mesure conjointe de la célérité des vagues océaniques (c) et de la longueur d’onde (λ) à partir d’images Pléiades quasi synchrones. 

Ici, nous avons adapté la méthode pour l’utiliser avec les données Pléiades, acquises lors de la crise éruptive de Grindavik, via l’activation de l’initiative CIEST². Le jeu de données Pléiades a été acquis le 23 novembre 2023. L’idée est de calculer la bathymétrie peu profonde avant et après l’éruption afin de mesurer les variations de volume dues aux coulées de lave sous-marines. 

Figure 5. Carte de bathymétrie côtière estimée à partir des données Pléiades quasi synchrones. Données Pléiades acquises le 19 novembre 2023. Cette carte représente une mesure de bathymétrie côtière pré-éruptive.

Références :

-M. de Michele, D. Raucoules, V. Pinel, J. M. C. Belart. Shallow bathymetry from pléiades data : the case study of the Grindavik volcanic crisis, 2024 IEEE International Geoscience and Remote Sensing Symposium, Institute of Electrical and Electronics Engineers, Jul. 2024, Athènes, Greece.

-Mathieu Gouhier, Virginie Pinel, J. M.C. Belart, M. De Michele, C. Proy, C. Tinel, E. Berthier, Y. Guéhenneux, M. T. Gudmundsson, B. V. Oskarsson, S. Gremion, D. Raucoules, S. Valade, F. Massimetti, B. Oddsson, CNES-ESA satellite contribution to the operational monitoring of volcanic activity: The 2021 Icelandic eruption of Mt. Fagradalsfjall, Journal of Applied Volcanology, 11, 10 (2022)  https://doi.org/10.1186/s13617-022-00120-3

-M. de Michele, D. Raucoules, D. Idier, F. Smai, M. Foumelis. Shallow Bathymetry from Multiple Sentinel 2 Images via the Joint Estimation of Wave Celerity and Wavelength. Remote Sens. 2021, 13, 2149. https://doi.org/10.3390/rs13112149

-M. de Michele, D. Raucoules, Þ. Arason, Volcanic Plume Elevation Model and its velocity derived from Landsat 8, Remote Sensing of Environment, Volume 176, 2016, Pages 219-224, ISSN 0034-4257, https://doi.org/10.1016/j.rse.2016.01.024.

-Michelle Parks, Vincent Drouin, Freysteinn Sigmundsson, Ásta R. Hjartardóttir, Halldór Geirsson, Gro B.M. Pedersen, Joaquin M.C. Belart, Sara Barsotti, Chiara Lanzi, Kristín Vogfjörd, Andrew Hooper, Benedikt Ófeigsson, Sigrún Hreinsdóttir, Einar Bessi Gestsson, Ragnar H. Þrastarson, Páll Einarsson, Valentyn Tolpekin, Drew Rotheram-Clarke, Sydney R. Gunnarsson, Birgir V. Óskarsson, Virginie Pinel, 2023–2024 inflation-deflation cycles at Svartsengi and repeated dike injections and eruptions at the Sundhnúkur crater row, Reykjanes Peninsula, Iceland, Earth and Planetary Science Letters,Vol. 658, 2025, https://doi.org/10.1016/j.epsl.2025.119324.

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