Eruption de la Soufrière Saint-Vincent: évaluer les aléas volcaniques en temps réel grâce à l’imagerie optique haute-résolution

La Soufrière de Saint Vincent est entrée dans une phase éruptive explosive majeure le 9 avril 2021, recouvrant toute l’île de Saint Vincent d’un tapis de cendres épais de plusieurs centimètres. Fort heureusement, les signes précurseurs de l’éruption ont été correctement interprétés par les volcanologues en charge de la surveillance, ce qui leur a permis de convaincre les autorités de déclencher une décision d’évacuation préventive de près de 20.000 personnes habitant dans la zone rouge à haut risque. A ce jour, malgré la puissance de l’éruption, associée à des coulées pyroclastiques dévastatrices, aucune victime n’est à déplorer.

Dans le cadre de la gestion de la crise, en collaboration avec les équipes du Seismological Research Center (SRC), de l’Université des West Indies (UWI) et du Montserrat Volcano Observatory (MVO), des chercheurs de la communauté ForM@Ter (IPGP, BRGM, EOST/Univ. de Strasbourg) ont pu prêter assistance aux équipes sur place en fournissant, en temps réel, des analyses des observations satellitaires de l’éruption.

En amont de cette crise majeure, une coopération pré-existante entre l’IPGP et le UWI-SRC avait déjà permis de suivre la croissance d’un nouveau dôme de lave au sommet du volcan, qui a démarré en décembre 2020. Ce dôme de lave s’écoulait paisiblement, sans provoquer d’explosions, depuis près de 3 mois. Un modèle numérique de terrain du volcan, avec une résolution de 2 mètres, a été calculé à partir d’images Pléiades acquises en 2014 à l’aide de la suite logicielle MicMac [Rupnik et al., 2016], dans le but de fournir une image 3D très précise de la topographie précédant la mise en place de la coulée [Grandin and Delorme, 2021]. Des vols de drone réguliers, opérés par le SRC / UWI / MVO, permettent de mettre à jour la topographie, et de quantifier les volumes de lave émis au cours du temps. Les satellites COPERNICUS Sentinel-1 et Sentinel-2 permettent d’assurer en parallèle un suivi du « hotspot » thermique associé à l’évent éruptif, ainsi que les déformations du sol. Enfin, l’installation d’une webcam au sommet permet de suivre qualitativement l’évolution de la croissance du dôme, jusqu’à la destruction de la station en avril.

Début avril 2021, la situation commence à se dégrader. Une croissance accélérée du dôme, une augmentation du dégazage, et le déclenchement de séismes en plus grand nombre et de plus forte intensité, fournissent un faisceau d’indications suggérant qu’une éruption importante est en préparation.

A la demande des scientifiques de l’IPGP, alertés par UWI-SRC de ces signes précurseurs, le dispositif CIEST2 est déclenché le vendredi 9 avril à 8h00 TU. Une première acquisition par la constellation Pléiades (Airbus ADS / CNES) a lieu le jour même, à 14h40 TU, soit à peine deux heures après la première explosion du volcan, illustrant la réactivité du dispositif.

La stratégie d’acquisition choisie a consisté à pointer les satellites Pléiades-1A et -1B, de manière systématique, à chaque passage au-dessus de la zone. Pendant 10 jours consécutifs, des acquisitions quotidiennes en mode « stéréo » ont eu lieu, exploitant l’agilité du satellite, capable de pointer son système optique vers toute cible située dans son champ de vision. Chaque acquisition consiste en une paire de deux images, prises avec des angles de visées différents, à moins d’une minute d’intervalle pendant un même survol, afin d’augmenter les chances d’obtenir un visuel, et, le cas échant, de pouvoir calculer la topographie du volcan par stéréophotogrammétrie. Cette stratégie est mise en place sans se préoccuper de la couverture nuageuse, dérogeant délibérément aux spécifications habituelles du système Pléiades, qui en temps normal permettent de prévoir à l’avance les succès d’acquisitions exploitables en fonction des conditions météorologiques. Le but est clair : tout tenter pour pouvoir fournir des observations à très haute résolution, susceptibles d’éclairer au plus vite les scientifiques sur la situation au sol.

Les premières tentatives d’observation du sol ont échoué, du fait de l’épaisse couverture nuageuse, situation habituelle en conditions insulaires tropicales, mais surtout de la présence d’un panache éruptif opaque, chargé en cendres, aérosols, gaz et cristaux de glace. Impossible dans ces conditions de voir l’édifice volcanique! Toutefois, il est possible d’exploiter les images Pléiades envahies pas le nuage volcanique pour extraire des paramètres clés de l’éruption. L’exploitation de ces images a en effet permis de déterminer des altitudes du panache, ainsi que des vitesses de déplacement grâce à une méthode mise au point au BRGM (de Michele et al., 2016), adaptée à Pléiades par la suite (Figure 1).

Figure 1: Modèle numérique d’élévation du panache de Saint Vincent, capturé le 12 avril 2021 par Pléiades.

Lors d’une accalmie temporaire, une acquisition Pléiades, effectuée le 15 avril 2021, vers 14h40 TU (10h40 heure locale), permet enfin d’obtenir des observations détaillées de la situation au sommet du volcan. Ces images révèlent l’apparition d’un cratère explosif de près de 600 mètres de diamètre, probablement formé au cours de la phase paroxysmale du 9–10 avril. Un panache de gaz et de cendres continue de s’échapper du fond du cratère, masquant partiellement les alentours qu’on constate recouverts d’une couche de cendres uniformément grise : ce faible contraste rend difficile l’interprétation. Néanmoins, la haute résolution spatiale de Pléiades, associée à une grande sensibilité radiométrique, permet de discerner l’existence d’un épais empilement de cendres déposé autour du cratère explosif. Le remplissage des vallées incisant le sommet du volcan, résultat des coulées pyroclastiques, est lui aussi bien visible.

A l’aide du service à la demande DSM-OPT [D. Michéa et J.-P. Malet / EOST ; E. Pointal, IPGP], qui permet la création automatique de modèles numériques de terrain avec la suite logicielle MicMac et des développements aval ad-hoc, un modèle topographique très haute résolution est rapidement calculé, permettant ainsi d’effectuer une différence avec le modèle numérique de terrain pré-eruptif (Figure 2, en bas à droite). Cette différence révèle l’épaisseur colossale de cendres accumulées près du cratère : plus de 100 mètres! Le cratère lui-même, dont on ne peut distinguer le fond à cause du panache, a une profondeur d’au moins 100 mètres. Les volumes de matière déplacés sont de l’ordre de plusieurs millions de mètres cubes, indiquant une magnitude de l’éruption de 4 sur l’échelle de l’indice d’explosivité, comparable à l’éruption de 1902 de la montagne Pelée (Martinique).

Figure 2: En haut à gauche: modèle numérique de terrain (MNT) du volcan en 2014, à partir d’une fusion d’un MNT Pléiades et du MNT Copernicus. En haut à droite: image Sentinel-2 en fausses couleurs, utilisant les bandes infrarouge (11 et 12). En bas à gauche: image Pléiades du 15 avril 2021, permettant d’obtenir le premier visuel sur le cratère éruptif. En bas à droite: différence des MNT de 2014 et du 15 avril 2021. Les zones colorées en rouge indiquent une accumulation de matériel volcanique. Données : © Airbus DS / CNES (2014, 2021) / Copernicus (2021).

Cartographier l’épaisseur et la répartition des dépôts de cendres est essentiel pour être en mesure d’anticiper les risques engendrés sur la population locale, alors que l’arrivée des pluies printanières provoquera mécaniquement l’apparition de coulées de boues destructrices, dans les vallées drainant le volcan (« lahars »). Observer les conséquences de l’éruption permet de mieux prévoir les mesures de protection à déployer sur le terrain.

La réactivité en temps de crise volcanique fait intervenir des acteurs à plusieurs niveaux, depuis les volcanologues en charge des observatoires jusqu’aux agences spatiales opérant les satellites en orbite. La chaîne d’information implique des informaticiens assurant la transmission rapide des données, des ingénieurs développant des méthodes de traitement d’image, sous l’impulsion de scientifiques qui tentent de mieux comprendre les dynamismes éruptifs, et de mieux informer les décideurs, dans le but de mieux protéger les populations.

Contact scientifique

Raphaël Grandin (grandin@ipgp.fr) – Institut de Physique du Globe de Paris – Université de Paris

Participants

  • Arthur Delorme (IPGP)
  • Marcello de Michele (BRGM)
  • Raphaël Grandin (IPGP)
  • Jean-Philippe Malet (EOST)
  • David Michéa (EOST)
  • Elisabeth Pointal (IPGP)

Références

Grandin Raphael, & Delorme Arthur (2021). La Soufrière volcano (Saint Vincent) Fusion of Pleiades (2014, 2 m) and Copernicus (2018, 30 m) digital elevation models (Version v1.1) [Data set]. Zenodo. http://doi.org/10.5281/zenodo.4668734

Ewelina Rupnik, Mehdi Daakir, and Marc Pierrot Deseilligny (2017). Micmac–a free, open-source solution for pho- togrammetry. Open Geospatial Data, Software and Standards, 2(1):1–9.  https://opengeospatialdata.springeropen.com/articles/10.1186/s40965-017-0027-2

de Michele, M.; Raucoules, D.; Arason, Þ (2016). Volcanic plume elevation model and its velocity derived from Landsat 8. Remote Sens. Environ., 176, 219–224.

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